La disparition de la Maison du Peuple ou l’assassinat de Victor Horta
Commandée à Victor Horta par le Parti ouvrier belge, la construction de la Maison du Peuple de Bruxelles s'étala de 1896 à 1898. Mais il fallut attendre le week-end de Pâques 1899 pour assister à son inauguration en grande pompe. Un cortège rouge flamboyant s’élança de la gare du Midi vers la rue Joseph Stevens, au pied du Sablon... En tête du cortège, de nombreuses figures de l'époque dont Jean Jaurès qui avait fait le déplacement pour haranguer les foules lors du meeting inaugural.
Le parti disposait désormais d'un vaste lieu de rencontre au centre-ville. Un lieu de verre et d'acier. Le rez-de-chaussée du bâtiment était consacré aux commerces et au café, les bureaux étaient installés au premier tandis que le deuxième et le troisième étages étaient occupés par des salles de tailles aussi diverses que leurs affectations. La grande salle des fêtes était installée au quatrième étage. Véritable vaisseau amiral de l'idéologie socialiste, cette salle pouvait accueillir jusqu'à 300 personnes. Un jour, on y jouait du théâtre et le lendemain, on y tenait un meeting.
Si chaque grande ville belge disposait de sa Maison du Peuple, celle de Bruxelles faisait référence. Non seulement pour son architecture, qui acheva d'asseoir la réputation de Victor Horta, mais aussi pour son atmosphère. Le cœur des militants, qui s'y retrouvaient lors de chaque grève, y battaient la chamade...
Destruction
Jugée démodée et menacée par la spéculation immobilière, la Maison du Peuple "fut définitivement condamnée" le 30 janvier 1964, comme le titra Le Soir ce jour-là. Le gouvernement avait signé son arrêt de mort. Crime par excellence de la bruxellisation, la démolition de la Maison du Peuple de Victor Horta restera à tout jamais gravée comme un jour noir dans l'histoire de l'architecture. En 1965, elle est détruite pour faire place à une tour de bureau de 26 étages. Cette tour fut affublée du patronyme de son entrepreneur : Blaton. Le même qui réalisait la plupart des chantiers d'Horta. Une façon de rappeler qu'en plus d'être le pays du compromis, la Belgique est également celui du surréalisme.
Horta, ton univers impitoyable
Bien que détruite, la Maison du Peuple n'avait pas pour autant totalement disparu. A force de persuasion, les opposants à la démolition obtinrent un subside de l'Etat pour démonter et conserver quelques vestiges: le local café, la grande salle de spectacle et la salle Mateoti. Les pièces du puzzle d'acier, de pierre et de verre furent démontées et entreposées à Tervuren en attendant un hypothétique remontage.
Au début des années 80, la commune de Jette qui plante les premiers arbres du parc Roi Baudouin envisage d'y bâtir un pavillon Horta avec une partie des vestiges de la Maison du Peuple. Elle acquiert donc quelques structures de pierre et d'acier qu'elle entrepose dans un champ en attendant la construction... qui n'aura jamais lieu. Les caisses sont vides et les éléments métalliques rouillent... Cerise sur le gâteau, des morceaux de la Maison du Peuple sont revendus au poids à un ferrailleur par un escroc qui s'était fait passer pour le propriétaire des ferronneries d'art.
Après cet épisode digne de Dallas, les vestiges encore entreposés à Tervuren furent offerts à Gand, la ville natale de Victor Horta. Une partie des restes fut restaurée et remontée dans le cadre d'une exposition, avant d'être intégrée dans le Grand Café Horta à Anvers. D'autres éléments de ferronnerie furent également conservés et ornent désormais la station Horta à Saint-Gilles.
La Maison du Peuple aujourd'hui
Si aujourd'hui la tour Blaton s'élève en lieu et place du bâtiment imaginé par Horta, BrusselsLife.be a réuni dans un cliché la Maison du Peuple et l'apparence actuelle du quartier. Une superposition à découvrir dans notre compilation de Bruxelles, avant-après.
A Bruxelles, d'autres Maisons du Peuple sont toujours sur pied, notamment sur le parvis de Saint Gilles. Après avoir fait office de lieu de rassemblement, de culture et de débat politique, la Maison du Peuple saint-gilloise dut fermer ses portes dans les années 60 suite aux difficultés rencontrées par la société coopérative. Elle fut alors occupée par différents commerces, servit même d'église (!), avant de devenir le café plébiscité que nous connaissons aujourd'hui. La prochaine fois que vous y commanderez une mousse, levez votre verre à la santé de Lénine qui y prononça un discours en 1914.
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